Littérature

Jeudi 26 Novembre à 18h30
rencontre avec
Yannick Haenel
pour son livre
Jan Karski
paru aux éditions Gallimard

Jan Karski est ce résistant polonais qui, en 1942, tandis que la Pologne est dévastée à la fois par les nazis et par les soviétiques, a réussi à entrer clandestinement dans le ghetto de Varsovie, afin de témoigner de l'extermination des Juifs d'Europe. Trente-cinq ans plus tard, il relatera sa traversée du ghetto dans Shoah, le grand film de Claude Lanzmann. Ce livre raconte comment Jan Karski a risqué sa vie pour porter le message des Juifs du ghetto ; comment il a tenté d'avertir les Alliés ; comment il a rencontré personnellement le président Roosevelt. Et surtout comment il s'est confronté à l'incrédulité, au soupçon, au refus.
Extrait de l'entretien donné par Yannick Haenel à Libération le 22/10/09:
Pourquoi avoir choisi le personnage de Jan Karski ?
"Parmi les témoins convoqués par Lanzmann, celui-ci me touchait encore plus que les autres. Il n’est pas juif, moi non plus, et ce n’est pas un survivant, mais un messager. Ce qui m’intéressait, c’est de savoir comment ce messager de la parole des Juifs du ghetto de Varsovie devient témoin. C’est la phrase de Celan que j’ai mise en exergue : «Qui témoigne pour le témoin ?» Karski était le porteur de la parole de quelqu’un d’autre et cela me semblait proche de ma position d’écrivain. La question des rapports interdits entre la fiction et la Shoah se pose pour moi de façon cruciale au début du XXIe siècle. Les derniers témoins sont morts ou vont mourir. Si l’histoire de cette transmission nous dépasse, et donc nous appelle, il va bien falloir que les écrivains répondent par la fiction à cet appel. La littérature ne consiste le plus souvent qu’à témoigner d’une chose dont on n’a pas été témoin ou qui, même si on en a été témoin, est irreprésentable.(...) Tous les lecteurs que je rencontre me posent la question de la responsabilité, qu’ils se posent à eux-mêmes : comment j’ai pris ce droit de raconter cela, comment peut-on parler à la place d’un autre. J’avais commencé à écrire un roman classique, où Jan Karski était ma créature, et je racontais sa vie. J’ai trouvé ça dégueulasse. Je l’ai mis à la poubelle. Mais ça m’a libéré. Il me fallait trouver un discours approprié, fondé sur le scrupule, puisque Jan Karski a vécu, et que mon projet était d’appeler le livre par le nom de cet homme, c’est-à-dire de faire se côtoyer les deux noms sur la couverture : qui signe le livre, Jan Karski ou moi ? Du coup, c’est un dispositif narratif un peu étrange qui expose ses propres fondations. C’est un livre par paliers, qui va progressivement vers la fiction."