PIERRE BOURDIEU, NOTRE CONTEMPORAIN



C'est en 1964, l'année où est créée la librairie que paraît aux éditions de Minuit "Les héritiers", le premier livre de Pierre Bourdieusociologue disparu en 2002 et auteur d'une oeuvre majeure. Cinquante ans plus tard, nous vous proposons trois rencontres pour découvrir ou redécouvrir la pensée de celui dont l'influence sur les sciences sociales est considérable:
Après Patrick Champagne et Rémi Lenoir, nous recevrons pour la dernière séance de l'année:

Louis Pinto
qui interviendra sur le thème
La sociologie comme socio-analyse
Vendredi 23 mai à 18h30


 La sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle n’avait pas une utilité sociale, affirmait Durkheim au début du XXe siècle. Plus de cent ans plus tard, après des développements et des découvertes conséquentes, on peut s’interroger sur les formes qu’a prises cette utilité. Quels peuvent être les usages de la sociologie et parmi ceux-ci y a-t-il une possibilité de socioanalyse ? C’est à cette question que s’efforceront de répondreles deux intervenants de ce dernier atelier de la saison.
Parmi les usages il y a d’abord celui que font les dirigeants et leurs conseillers des rapports « d’experts en problèmes sociaux ». Outre que la référence à des données « scientifiques » renforce l’image de sérieux à laquelle chacun de ces dirigeants aspire, la sociologie leur permet bien souvent de cautionner une politique déjà décidée par ailleurs et accessoirement de renforcer la domination qu’ils exercent. Il y a aussi l’utilité très mercantile et souvent très efficace de ceux qui demandent aux sociologues de scruter les modes de vie des consommateurs pour jouer sur leurs représentations du monde et d’eux-mêmes et tirer profit de leurs désirs. Reste qu’il y a aussi la satisfaction personnelle des sociologues à analyser et comprendre le monde social pour, parfois, mettre en cause « le sens commun » et renverser quelques statues dans un acte iconoclaste, pour, plus souvent - poussés qu’ils sont par des conceptions politico-éthiques - mettre au jour des inégalités sociales, pour enfin, et presque toujours, donner libre cours à leur « libido sciendi » et contribuer à l’édifice scientifique. Ces manières de faire peuvent susciter aussi un usage plus intime dont les quelques œuvres littéraires récentes – les ouvrages d’Annie Ernaux, de Didier Eribon ou d’Edouard Louis, par exemple - en témoignent on ne peut mieux. Cette sorte de réflexivité qui devient possible chez les sociologues et chez leurs lecteurs s’apparente à une socioanalyse. Celle –ci montre que l’objectivation sociologique n’a rien à voir avec l’épinglage ou la dénonciation mais permet de comprendre comment nous sommes « déterminés » par des causes sociales et, ainsi, accroître la compréhension de ce qui nous tient à cœur, de nos goûts et de nos espoirs.




Louis Pinto est un sociologue français, directeur de recherche au CNRS. Ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, élève de Pierre Bourdieu, il est spécialiste des médias et de la réception de la philosophie en France.

Présentation par Christian de Montlibert, sociologue et directeur de la revue "Regards sociologiques".